« Nous avions dix ans à peine, tous nos jeux étaient les mêmes, au gendarme et au voleur … tu me visais droit au cœur, Bang Bang …» En exagérant un tout petit peu, si vous jouiez au gendarme-voleur ou aux cow-boys-peaux-rouges, vous vous entraîniez déjà aux Arts Martiaux Vietnamiens.

chau-vietnamUn petit retour aux sources s’impose : Au 12e siècle, les Vietnamiens connaissaient déjà l’usage de la poudre, mais en tant que matériel pour festivités ; débarquèrent alors quelques Portugais qui apportèrent avec eux des ‘‘bâtons à cracher le feu’’. Contre quelques malles d’or ou contre quelques dizaines de défenses d’éléphant, certains richissimes Vietnamiens eurent en leur possession les premiers ‘‘sung thân công’’, c’est à dire le ‘‘canon magique qui remplace le boulot’’.

Oh, rien de transcendantal à nos yeux : une espèce de crosse en bois sur laquelle est fixée un tube de bronze. La platine, c’est à dire le mécanisme de mise à feu, était constituée d’un crochet en forme de S sur lequel était fixée une mèche, et d’un bassinet pour contenir la poudre d’amorce. Sur certains exemplaires, il n’y avait même pas de platine : le tireur devait bouter le feu avec une mèche conservée à part ou à l’aide d’une cigarette. Pratique, n’est-ce pas ? Ah, j’oubliais : il n’y avait aucun système de visée.

Mais à cette époque, le mousquet à mèche était plus qu’une arme : c’était un signe extérieur de richesse que l’on exhibait fièrement lors des grandes fêtes ou que l’on offrait à un seigneur. Bien sûr, les Vietnamiens avaient aussitôt copié les Portugais et fabriqué leurs propres canons à feu, mais de façon très confidentielle. Soulignons cependant l’absence totale de ressort dans les pièces de conception locale, car les Asiatiques dans l’ensemble ne savaient pas (et ne savent toujours pas) maîtriser la ‘‘recuite’’ des ressorts.

En théorie, à cette époque, un bon archer pouvait décocher environ vingt flèches par minute contre un coup de feu par minute pour le ‘‘mousquetaire’’. Mais l’effet psychologique était plus important avec des détonations. Bien avant la venue des canons à feu, les armées au combat se jetaient régulièrement des pétards et autres charges explosives pour ‘‘effrayer fantassins et apeurer chevaux et éléphants’’.

Une autre raison retardait le progrès dans la conception des armes à feu : les guerriers et les experts en Arts Martiaux considéraient le canon à feu comme ‘‘arme de faible ou de lâche’’. Le grand général Trân Hung Dao ( ?-1300) lui-même refusa un mousquet de luxe qu’on lui offrit comme récompense d’une victoire ; il préférait sa hallebarde et son épée. Tous les membres de son état-major se débarrassèrent aussitôt des armes à feu en leur possession.

Cependant les maîtres d’Arts Martiaux Vietnamiens, surtout ceux qui avaient fait la guerre, connaissaient l’efficacité des tubes à feu, surtout à moins de dix pas. Personne ne pourrait dire avec exactitude quand ces su phu avaient inclus l’étude des armes à feu au programme de leurs écoles. En tout cas, dès le 14e-15e siècle, les entraînements concernant les armes à feu portaient sur les esquives, les feintes, et les désarmements. Les su phu qui avaient quelque moyen faisaient fabriquer un sung thân công entièrement en bois pour expliquer le fonctionnement à leurs élèves (ils répugnaient à manipuler une vraie ‘‘arme de lâche’’ !)

Si le pratiquant de base d’Arts Martiaux Vietnamiens se contentait d’étudier le combat à mains nues et les 18 systèmes d’armes blanches traditionnelles, le pratiquant qui visait un diplôme d’état en Arts Martiaux  devait connaître le tir. Surtout à partir de l’époque de Quang Trung (vers 1778-1792) où le tir au mousquet faisait partie des épreuves obligatoires en vue de l’obtention de la licence ès arts de combat (cu’ nhân vo).

A cette époque, vus le prix de la poudre et la rareté des pièces à feu, il ne devait pas y avoir beaucoup de candidats qui avaient les moyens de s’entraîner régulièrement au tir. Le jour de l’examen, si le candidat mettait les deux balles dans la cible située à 50 pas, il bénéficiait d’une mention. Une balle dedans, une dehors, c’était passable. Les deux balles dehors, le candidat devait payer une amende (en fait, l’amende servait à couvrir les prix des balles et de la poudre). Ces épreuves de tir au mousquet ne dispensaient pas le candidat des épreuves de tirs à l’arc et à l’arbalète.

C’est certainement grâce à cette époque (fin 18e siècle) que les armes à feu conquirent leurs titres de noblesse. Les maîtres d’arts martiaux purent enfin les faire manipuler par leurs élèves, sans honte et sans remord. Une catégorie de travailleurs naquit : celle des guérisseurs de canons à feu. J’ai bien dit ‘‘guérisseur’’, d’ailleurs un de mes su-phu m’a raconté cette anecdote : « un seigneur n’arriva pas à faire fonctionner son fusil et appela à la rescousse un guérisseur. Celui-ci versa dans le canon une potion, ce genre de potion qu’on donnait aux malades. Miracle ! l’arme fonctionna de nouveau ! ». Personnellement, et avec ma petite expérience sur les armes à feu anciennes, je pense que la potion en question a réussi à déboucher la ‘‘lumière’’ qui permettait de faire communiquer le feu à la poudre. En fait de miracle, la potion en question avait juste fait un travail de nettoyage.

L’âge d’or ne dura pas longtemps, car le pouvoir colonial interdit bientôt toute détention d’armes, qu’elles soient à feu, tranchantes ou pointues ! Il faut dire aussi que les premières armes à répétition firent leurs apparitions sur les champs de bataille (à partir de 1850). Mais la tradition perdura et les su-phu ressortirent les vieilles armes d’instruction en bois de leurs ancêtres pour enseigner aux vo-sinh l’art de brûler la poudre et l’art de contrer un adversaire armé d’un ‘‘feu’’.

Une autre discipline vit aussi le jour, vers le début du 20e siècle : la self-défense contre les attaques à la baïonnette (vous savez, cette espèce de lame fixée au bout d’un fusil). Citons au passage ces quelques leçons qui sont toujours d’actualité :

  • Face à un adversaire armé de baïonnette, soyez sûr qu’il a vraiment vidé son arme.
  • Placez-vous dos au soleil.
  • Déplacez-vous en zig-zag et plutôt sur votre droite (la plupart des attaquants étant droitiers, ils sont gênés par les attaques venant de leur gauche).
  • Dès que possible saisissez le canon et déviez-le vers le ciel, tout en attaquant l’agresseur au visage ou à n’importe quel autre point sensible.
  • Les coups de pied sautés gênent souvent l’agresseur à la baïonnette.

Actuellement, beaucoup de pratiquants d’Arts Martiaux pratiquent le tir avec armes à feu et obtiennent de bons résultats. A moins que les champions de tir n’apprennent les Arts Martiaux pour travailler les choses qui sont communes aux deux disciplines : la concentration, la force des yeux, la maîtrise du geste, l’équilibre physique, le contrôle de la respiration et surtout … le mental. Bon entraînement et bons tirs, alors.