Il fut un temps où … attendez, je peux commencer autrement : « quand j’étais petit enfant, je repassais mes leçons en chantant …».

Et si je disais que ces leçons, c’étaient mes quyên, vous auriez certainement compris que je ne chantais pas vraiment. Je récitais plutôt les poèmes ‘‘thiêu’’ qui accompagnaient le gestuel du quyên. (ex :‘‘Rôi lai biên thê thân dông’’… = ‘‘et change ta stratégie comme le jeune génie’’…)

Et si jamais je me trompais, que ce soit dans le gestuel ou dans la récitation, ou si jamais j’oubliais un mot ou un geste, les punitions pleuvaient illico : pompes, endurcissements du ventre ou des avant-bras, sans compter les regards réprobateurs des autres élèves. C’étaient mes débuts dans les Arts Martiaux Vietnamiens, et tout enfant que j’étais, je devais suivre le même programme et la même discipline que les adultes.

Le temps a passé doucement et un beau jour je me retrouvais à donner des cours à de jeunes Dupont, Rachid ou Tchang. La France, beau pays qui m’a accueilli, est multi-raciale et beaucoup d’enfants fréquentent mes cours. La différence de mentalité est flagrante : les petiots de mes cours sont souvent bavards, indisciplinés, et pas toujours courageux mais aussi : curieux, charmants et pleins de bonne volonté. Résultat : il a fallu que je change de méthode d’enseignement.

Attention, je ne prétends pas que tel enfant de tel pays est plus intelligent que celui d’un autre pays. Seulement, mon expérience d’enseignant m’a permis de déceler ces différences :

  • L’enfant français n’a pas la même motivation que le petit vietnamien. Pour lui, les cours représentent une sorte de loisir qui lui permettrait de se retrouver avec d’autres copains (et pour ses parents, il arrive que les cours d’arts martiaux sont moins chers qu’une nourrice ou une garderie).
  • Le côté culturel est aussi différent : issu d’une tradition quasi-guerrière et d’une société confucéenne, l’enfant vietnamien met tout son cœur pour apprendre ses thiêu et ses prises. Quand le maître lui demande d’ingérer un quyên en entier, il ne se demande pas si cela serait possible ou non (et surtout il le fait sans aucune protestation).

Aussi suis-je arrivé à ces diverses conclusions :

  • Evitons de prendre les enfants avant l’âge de 7 ans. Pourquoi ? Parce qu’à partir de cet âge, le petit vo-sinh a déjà une idée de ‘‘son’’art martial. Cela lui évitera de changer de discipline (combien de styles connaissent les adolescents qui ont débuté vers l’âge de 4-5 ans ?)
  • Un petit avantage : vers 6-7 ans, les enfants sont –en principe- ‘‘propres’’, c’est à dire que l’enseignant s’évite la corvée de la serpillière (corvée bien connue des moniteurs de baby-gym ou autre baby-judo).
  • Quand un petit s’inscrit dans votre cours, demandez à ses parents si c’est bien lui qui a demandé à venir, ou ne serait-ce pas plutôt le père ou la mère qui veut absolument lui faire faire du ‘‘kin-fou’’. Souvent, par le phénomène de transfert, certains papas voudraient que leurs rejetons deviennent champions d’arts martiaux, chose qui ne leur était pas arrivée dans leur jeunesse.
  • Parlez un peu avec ce petit bout d’homme avant d’accepter son inscription. Si le courant passe, si le petit vous fait confiance, faites-lui comprendre qu’il va découvrir un sport merveilleux, mais qui demande une certaine discipline.
  • Et, bien entendu, contrairement à ce qui se passait au VietNam (et qui se fait toujours d’ailleurs dans ce pays) le programme d’enseignement ne doit pas être le même que celui des adultes.

Concrètement, me demandent souvent les stagiaires des formations de cadres, que doit-on faire pour les enfants ? La réponse revêt plusieurs formes :

D’abord il est bon, dans la mesure du possible, de regrouper les enfants selon leurs âges . Attention, la classification que je propose ci-dessous n’est pas forcément compatible avec les catégories des compétitions ; elle est peut-être arbitraire mais possède le mérite de rendre plus facile le travail des enseignants.

Classification d’âge :

  • De 1 mois à 6 ans environ : laissez les enfants aux spécialistes des baby-machin.
  • De  7 ans à 10 ans : on pourrait mettre ces enfants ensemble.
  • De 10 ans à 14 ans.
  • A partir de 15 ans, on pourrait faire un autre groupe ou les intégrer aux cours d’adultes. Attention : actuellement, des ‘‘petits’’ de 14-15 ans sont parfois plus costauds que les adultes mais ils possèdent toujours un cœur d’enfant. C’est à dire qu’ils se fatiguent vite et mettent plus de temps à récupérer.
  • L’idéal pour les ados de 15-18 ans serait de les intégrer avec les adultes une fois par semaine et de leur réserver un ou deux cours propres à eux.

Bien sûr, les cours ne sont pas les mêmes en fonction des âges. Jusqu’à l’âge de 10 ans, nos petits d’homme ont besoin de se défouler, de s’amuser, mais sans s’épuiser. Ils ont besoin aussi de motivations, ce qui explique la prolifération des ceintures. Me croiriez-vous si je vous affirmais qu’un de mes collègues, prof de judo, a inventé jusqu’à 30 ceintures intermédiaires avant la ceinture noire ?

Sans tomber dans ce système de ceinture quelque peu grotesque, nous devrions réfléchir à un système de niveaux motivant pour les enfants : actuellement dans beaucoup d’écoles de la FAMV, il y a 6 ceintures intermédiaires avant le niveau de la Ceinture Noire.

Donc, concrètement, pour les 7-10 ans :

  • Des jeux, des jeux éducatifs, des jeux sportifs, des jeux martiaux mais surtout des jeux.
  • Ne pas chercher à leur faire apprendre un quyên à tout prix, mais plutôt des morceaux de quyên ou des enchaînements de combat (type song luyên). Quand le petit d’homme est intéressé par le quyên, il demandera lui-même à l’apprendre.
  • Commencer par lui inculquer des notions de discipline, d’étiquette et de respect. N’oublions pas que nous faisons aussi un boulot d’éducateur.
  • On peut leur faire pratiquer des combats sous forme de jeux, mais avec la plus grande prudence. Un truc : « vous avez le droit de tout faire, MAIS SANS FAIRE MAL !»

Si vous insistez, nous pouvons vous dévoiler quelques jeux qui marchent bien pour les petits. A vrai dire, ces jeux peuvent aussi être pratiqués par les adultes, mais avec un autre état d’esprit.

Jeux à deux :

  • Un enfant se met sur un pied et l’autre doit essayer de taper sur le pied qui se trouve en l’air (exercice de réflexe et d’équilibre)
  • Un enfant doit attraper le nœud de la ceinture de l’autre. Le nœud peut être placé devant, sur le côté ou en arrière (ceci est le premier rudiment des leçons de lutte)
  • Les pinces à linge (il paraît que c’est une trouvaille de la Boxe Française) : mettre des pinces à linge sur le vo-phuc d’un enfant, l’autre doit les enlever. Travail de blocage ou d’esquive.
  • Avec la main gauche, un enfant doit toucher un point précis du corps de son partenaire : l’épaule gauche, le genou droit, l’avant-bras gauche ou le nœud de la ceinture… Le partenaire doit esquiver, ou bloquer, ou encore masquer le point à toucher. Travail de rapidité, de blocage mais aussi initiation à l’anatomie.

Voilà un premier ‘‘contact’’ avec nos futurs champions…

A vous de créer et de motiver vos jeunes élèves !!!